Le silence… un calme lugubre régnait dans les Terres Fantomes. Comme d’habitude. Des cris de nérubien par ci par là rompaient la sinistre tranquillité de Solcouronne. Des ordres de forestiers au loin, le vent dans les arbres. Rien d’autre.
Il était assis là, devant un brasier, dans une maison délabrée par des années de Fléau. Une lourde armure en plaque cliquetant au rythme de sa respiration. A sa droite, une urne qu’il avait récupérée à l’intérieur du bâtiment. Dans un soupire, il posa son regard sur cette dernière. Un regard triste, lourd de peine et de regret.
« Maman… »
Murmurant ces mots, il plongea sa main dégantée et piocha une poignée de cendres. D’un geste lent et lourd, Kinyo jeta cette poussière noire dans la flamme. Puis il serra les dents. Une vive douleur l’envahis, tendit que les arcanes des lieux se concentraient dans la paume de sa main gauche. Une douleur nécessaire pour se libérer de ses actes. Un cristal de mana s’était formé maintenant, qu’il jeta lui aussi au feu.
Une douce détonation, et la flamme vira au blanc.
L’elfe leva les yeux vers cette flamme, et sourit doucement. Un sourire, et des yeux larmoyants.
« Maman…pardon de ne pas être venu plus tôt… »
Il se passa la main sur le visage, ricanant nerveusement, puis repris son monologue.
« J’ai beaucoup à te dire…je suis perdu…j’ai besoin de toi. Oui, je sais…moi, je n’ai jamais été là. Et maintenant, je le regrette.
Je suis partagé. Entre ces regrets, et cette volonté d’aller de l’avant. Mais depuis ce jour, j’ai l’impression que chaque pas que je fais en avant fait reculer le monde. Je suis bien entouré, oui…mais je me sens seul…incompris…Tu me manque…mais je ne voudrais pas te revoir…j’ai bien trop honte…
Tu sais, j’ai beaucoup vécu depuis ta mort. Je suis devenu un Brise-Sort, et j’ai même appris quelques tours de magie. Le B-A-BA, quoi. Ca aurait été plus beau d’apprendre auprès de toi, mais on sais tout les deux pourquoi ce n’est pas possible. »
Levant les yeux au ciel sombre du village, il versa une larme, qui, après une rapide descente sur sa joue, alla finir sa chute dans la flamme immaculée.
« Les orcs…tu te rend compte ? Ils m’ont dit que c’était les orcs qui t’avaient tuée. Des orcs démoniaques assoiffés de sang t’auraient pendue avec soin, ça paraît logique. Non, franchement, je sais qui t’a tuée. Moi, hein ? Tu as mis fin à tes jours parce que j’étais un monstre, hein ?
Non, ne dis pas le contraire, je le sais. Je le vois encore aujourd’hui. Tous les jours. Il est toujours là. Il s’est même trouvé son propre nom. Zaden. C’est moi. Le fils que tu as connu. Le fils qui t’a connu. Le mauvais fils que tu n’as pas mérité. Le mauvais fils qui ne méritait pas une mère aussi bien que toi. »
A ces mots, Kinyo rabaissa les yeux vers la flamme.
« Non, ce n’est pas moi. Ce n’est plus moi. D’un côté, tant mieux. D’un autre, je le regrette. Zaden faisait le mal pour son bien, mais au final, il n’avait aucun problème avec ça. Moi, pour mon confort, je sème le chaos, et…au final, je ne me sens pas mieux. Je détruis les vies pour rien. Comme j’ai détruis la tienne, celle de papa, et celle de Rigel. Comme j’ai détruis celle de Farrah, celle de Delena, celle de cette forestière, celle de Rhéa, et tant d’autre.
J’alterne bien-être et tristesse. D’abord, je me complaisais dans mon égoïsme. Puis j’ai réalisé en servant le Fléau à quel point la souffrance des autres pouvait m’atteindre. Déchiré, j’ai voyagé, je suis devenu Archéologue et explorateur. Oui, c’est bien ça. Comme Rigel voulait faire. J’ai parcouru le monde, j’ai appris des gens. J’ai appris l’espoir. Et longtemps j’ai cru que l’espoir suffisait à faire vivre.
Que de la folie. Mon espoir m’a conduis à la ruine. J’ai corrompu tout ce que j’étais. Comme quand j’étais Brise-Sort. J’ai cru pouvoir m’accaparer une puissance suffisante pour avoir la vie parfaite. Comme quoi, je n’ai vraiment rien appris. D’abord, mes bêtises m’ont privé de tout ce qui faisait de moi un elfe…mon arcane…mon physique…ma vie…puis, en voulant rattraper ces erreurs, plutôt que de les assumer, où j’en suis arrivé ? J’ai perdu ce qui restait qui faisait de moi un mortel. Mon âme. J’ai vendu mon âme, maman. L’âme que tu m’as donnée. L’âme que papa, toi et Rigel, vous vous êtes efforcés de forger au fil des années. Où est-elle maintenant ? »
D’un geste rapide, il sorti un petit couteau et se trancha le poignet. Le sang coula au sol, mais se condensa pour former une pierre écarlate, qu’il s’empressa de ramasser.
« Voilà où elle est, mon âme. Entre les mains des pires créatures que cette planète abrite. Excepté moi, bien sûr. Ma route m’a conduis là où peu sont allés. Dans la Non Mort. Dans la douleur. Dans la folie. Et chacun de mes actes, qu’il soit personnel ou non, semble m’y ramener quoique je cherche à faire.
Ce que je veux ? Une vie simple. Pas de guerre, pas de peine, juste une maison, des enfants, et mon épouse Farrah. Et je me bats encore et encore pour obtenir ça. Mais plus je m’entête, et pire c’est. La première fois elle se fait poignarder. La seconde arrachée à son corps. Et là…c’étais…pire que tout. Et pourtant, je m’attends à pire si je continue à vivre. J’ai l’impression d’être attiré constamment vers le malheur.
J’ai la force d’avancer. J’ai la volonté. J’ai des alliés. Mais je n’arrive à rien. Pourquoi ? Pourquoi je dois porter tous ces fardeaux ? Pourquoi j’ai tant pêché avant de réaliser ? De réaliser que j’étais sur la mauvaise voie ? Ou alors, le suis-je encore ? Où dois-je aller ? Maman, aide-moi, je suis perdu ! Qu’est-ce que je dois faire, à la fin ? Comment être heureux ? Que dois-je faire ? »
D’une traite, il se leva, et, d’un geste brutal, il lança la pierre de sang au loin, puis sécha ses larmes du poignet, avant de se rasseoir.
« Est-ce que je suis condamné à payer pour tout ce que je…que Zaden a fait ? Est-ce que je dois assumer ses actes, ou continuer à penser que je ne suis plus lui ? La souffrance s’estompera-t-elle un jour ?
Est-ce que je récupèrerais mon âme un jour ? Maman…Maman…si tu savais comme je regrette…je souffre, et j’ai peur…
Zaden, il…il est mon pire cauchemar. Un condensé de toutes mes erreurs. Celles que j’ai faites en tant que Brise-Sort. Et celle que j’ai faite en tant qu’archéologue. Je sais ce qu’il est capable de faire, mais…enfin, tu comprends… »
Un long silence se produit alors. Une heure passé. Kinyo était toujours là. Jusqu’au moment où la flemme vacilla.
« C’est l’heure des au revoir au dirait. Je suis désolé pour tout, maman. Je t’aime. Je…je reviendrais… »
Et tandis que la flamme s’éteignait dans l’obscurité de Solcouronne, Kinyo s’éloignait vers Lune-d’Argent. Le cœur lourd, mais déjà plus léger. Un soulagement…un pardon…le début de la rédemption.
« Même quand il pleut des cordes…un tournesol se tiens bien droit. »
Dim 30 Jan - 5:35